A la veille de la saison des Prix littéraires, retour sur quelques bijoux de rentrée. La chronique d’Anne Bassi, 7 octobre 2020

511 : c’est le nombre d’ouvrages présentés pour cette rentrée littéraire. Un chiffre qui peut donner le vertige, même s’il est stable par rapport aux années précédentes. Mais alors, que lire et comment choisir ? Si on lit en moyenne un livre par semaine, il faudrait plus de deux ans pour parvenir à la fin de la liste. Dans ces conditions, tout choix peut sembler partiel, partial, arbitraire. Mais nécessaire !

Il y a bien sûr les mastodontes, valeurs sûres du paysage éditorial, tels les derniers romans de Sarah Chiche, Saturne (Seuil), et d’Erri de Luca Impossible Gallimard), mes deux grands coups de cœur de cette rentrée.

La thématique de la filiation est au cœur de l’ouvrage de Sarah Chiche. L’auteure, psychanalyste, raconte son enfance happée par le trou noir du deuil de son père. Cette « perte sèche » impossible à compenser, la déréliction d’une famille fortunée, lignée de médecins exilés d’Algérie, le traumatisme puis la façon dont la narratrice se désenglue de ce passé mortifère, ne peuvent que marquer durablement le lecteur.

Dans Impossible, Erri de Luca fait vivre sous la forme d’un interrogatoire un dialogue entre deux hommes. Un jeune juge d’instruction et un homme accusé de meurtre et placé en détention provisoire après la mort d’un autre en montagne : a priori peu de points communs entre les deux protagonistes, et pourtant, un lien se tisse de question en question et petit à petit la confrontation se transforme en dialogue d’idées.

Il y a aussi des bijoux plus discrets. Nous avons décidé de vous proposer une petite balade thématique parmi ceux-là.

Les amateurs de la petite histoire dans la grande Histoire pourront ainsi apprécier la lecture de Rien pour demain, de Bruno Remaury (José Corti Editions.). Personnages fictionnels et réels se mêlent dans cet ouvrage moitié roman, moitié essai. Pour croiser Colette ou Marcel Proust dans les salons des beaux quartiers parisiens au début du XXe siècle, choisissez Je ne vis que pour toi, (Calmann-Levy) d’Emmanuelle de Boysson. Ce roman raconte, par l’intermédiaire de la narratrice, jeune femme débarquant à Paris de sa Bretagne natale, la vie hors normes de la femme de lettres Natalie Clifford-Barney. La recherche historique tient également une grande part dans l’ouvrage de David Le Bailly L’autre Rimbaud (Iconoclaste), une enquête passionnante sur le mystère du frère d’Arthur Rimbaud. L’enquête est également présente dans La faucille d’or d’Antony Palou (Editions du Rocher). Dans cet ouvrage, l’auteur nous plonge avec beaucoup de poésie dans un village perdu du Finistère pour enquêter sur la disparition en mer d’un marin-pêcheur

Dans Le tailleur de Relizane (Stock), Olivia Elkaim raconte l’histoire, lors de la guerre d’Algérie, de son grand-père, tailleur, enlevé, puis libéré trois jours plus. En découle la fuite éperdue vers la France, l’intégration impossible… et l’impact qui n’en finit pas de retentir sur toutes les générations.

Traversant l’océan, Betty, de l’Américaine Tiffany McDaniel (éd. Gallmeister), conte aussi une histoire familiale à la fois tragique et lumineuse. Betty, métisse cherokee qui grandit dans l’Ohio, est confrontée au racisme, à la violence sociale, aux deuils… et garde malgré tout une capacité à vivre, à tisser des liens uniques et forts, à contempler une nature omniprésente. Un hommage à la force de caractère de sa mère, mais aussi de son père, qui saura transmettre à sa fille poésie et puissance.

Les enjeux de la transmission forment également la trame du roman Le dit du Mistral, de Olivier Mak-Bouchard (Le Tripode). Un souffle romanesque traverse tout le livre avec une ode au Lubéron, ponctuée de légendes de Provence et d’ailleurs.  Deux voisins se retrouvent autour d’une découverte archéologique qu’ils décident d’abord de taire. Les voilà, l’un jeune, l’autre moins, qui creusent de concert pour faire émerger une merveille… le tout sous le regard d’un chat bien curieux. Fille de Camille Laurens (Gallimard) pose la question de la transmission à une nouvelle génération, quand Laurence devient à son tour, mère d’une fille.

Écrire pour survivre, puis pour vivre, c’est peut-être le fil rouge qui semble traverser nombre de ces romans en cette rentrée littéraire. Une manière d’intégrer des événements historiques, une histoire familiale qui menace d’engloutir l’auteur(e), ou encore une maladie qui plonge dans des angoisses extrêmes. C’est l’impression qui demeure lorsqu’on referme Yoga, d’Emmanuel Carrère (éd. P.O.L.), qui semble bien placé dans la course aux prix littéraires. L’écrivain parvient ainsi à traverser malheur « ordinaire » et malheur « névrotique » grâce au pouvoir des mots.

 

Anne Bassi

Présidente de l’agence de communication Sachinka, chroniqueuse littéraire d’Opinion Internationale