Mathieu Simonet, Président de la SGDL : « Le chiffre d’affaires de l’industrie culturelle dépasse celui de l’industrie automobile. Les auteurs doivent en profiter. », Opinion Internationale, 23 août 2019

https://www.opinion-internationale.com/2020/01/24/mathieu-simonet-president-de-la-sgdl-le-chiffre-daffaires-de-lindustrie-culturelle-depasse-celui-de-lindustrie-automobile-les-auteurs-doivent-en-profiter_70267.html

Anne Bassi : Administrateur de la Société des Gens de Lettres depuis 2014, vous avez été Président de la commission des affaires juridiques jusqu’en 2018. Le 24 juin 2019, vous avez été élu Président de la SGDL. Vous êtes aussi avocat et auteur de plusieurs romans. Votre dernier roman est paru au Seuil en 2019 : « Anne-Sarah K. ».

Ecrire est un travail solitaire. Les auteurs sont-ils une population facile à fédérer ? Comment créer du collectif ?

Mathieu Simonet : A titre personnel, l’écriture n’a jamais été pour moi un travail solitaire. Comme je le raconte dans mon roman Barbe rose (Seuil, 2016), c’est mon père, qui a des problèmes psychiatriques, qui m’a appris à écrire. Pour moi, l’écriture a toujours été un moyen de créer du lien, en particulier lorsque la communication est a priori difficile. Mon écriture est intimement liée aux dispositifs collaboratifs que je mets en place. Pour autant, j’ai conscience que pour beaucoup d’auteurs, l’écriture est un travail solitaire ; cela explique en partie qu’il n’est pas toujours facile de les fédérer.

La Société des Gens de Lettres, qui existe depuis bientôt deux siècles, a trois missions : premièrement, représenter les auteurs (notamment auprès des pouvoirs publics), deuxièmement, les accompagner au quotidien (par exemple en leur proposant des formations) et troisièmement, les fédérer. Concernant ce troisième pilier, je souhaite faire de l’Hôtel de Massa, un lieu encore plus accueillant et plus créatif. C’est dans cet esprit que nous avons lancé récemment les « Saisons hybrides » qui visent à croiser la littérature avec d’autres disciplines : l’automne dernier était aux couleurs du hip-hop, cet hiver est consacré à l’astronomie, le printemps 2020 mettra à l’honneur la bande-dessinée, l’été prochain croisera écriture et santé.

Je souhaite également qu’on entende davantage les auteurs dans tous les débats de société. Dans un monde de plus en complexe, je crois que nous avons beaucoup à dire et à éclairer, pas simplement sur nos livres mais aussi sur notre vision du monde, qui est éminemment sensible. Enfin, je souhaite que la communauté des auteurs qui s’intéressent aux dossiers juridiques et sociaux de notre profession soit plus étendue. Pour cela, nous avons un double enjeu à relever : rendre plus lisible des dossiers qui sont souvent très techniques et augmenter la démocratie participative.

Vous souhaitez « remettre l’écrivain au cœur de la société ». Comment envisagez-vous de faire ?

Je suis convaincu que l’écriture est un outil incroyable pour créer du lien social et pour prendre du recul sur les grands dossiers de société. Encore faut-il que le maximum de personnes se sentent légitimes à écrire et qu’on puisse créer des ponts entre l’écriture et ces débats. Concernant le premier point, je souhaite à la fois valoriser les études qui montrent l’impact de l’écriture sur le bien-être et développer les initiatives qui permettent à tous d’avoir envie d’écrire, quel que soit leur niveau d’orthographe ou de grammaire.

L’écriture est comme le sport : chacun à un rôle à y jouer. Ce qui compte ce n’est pas tant la compétition que la participation individuelle et collective. C’est pourquoi la Société des Gens de Lettres est très sensible au développement de toutes les mesures d’ « EAC » (Education Artistique et Culturelle).

Concernant le deuxième point, je souhaite mettre en valeur les débats de société sur lesquels l’écriture peut apporter un éclairage utile. Par exemple, nous travaillons avec des médecins et des juristes sur la question des « directives anticipées » : nous réfléchissons à l’apport des ateliers d’écriture pour rédiger ces directives. Par ailleurs, je souhaite faire de l’hôtel de Massa un lieu de débat incontournable. Nous inviterons par exemple les principaux candidats à l’élection du prochain maire de Paris et proposerons à nos adhérents de faire de même dans différentes villes de France.

Quelles mesures concrètes prônez-vous pour valoriser le statut d’auteur ?

Tout est lié. Il faut que l’opinion publique et les politiques comprennent l’importance de l’écriture pour tous et le rôle des écrivains dans la société pour faciliter le financement d’un statut ambitieux de l’auteur (comme il existe un statut pour les fonctionnaires, pour les agriculteurs ou pour les intermittents du spectacle).

On sait qu’il n’y a pas suffisamment de livres vendus pour permettre à une majorité d’auteurs de vivre au-dessus du seuil de pauvreté. Pour autant, les auteurs sont à l’origine de toute l’industrie culturelle dont le chiffre d’affaires est supérieur à celui de l’industrie automobile. Il est donc équitable et urgent de permettre aux auteurs de vivre décemment de leur art grâce à de nouvelles sources de revenus.

Concrètement, nous proposons par exemple d’être associés, dans des proportions équitables, au chiffre d’affaires généré par la vente des livres d’occasion, à celui des livres tombés dans le domaine public et à celui des GAFA. En créant des sources de revenus supplémentaires, il sera possible de financer certaines de nos propositions (une retraite minimum pour tous les auteurs, la rémunération de leurs interventions en librairie, le parrainage de tous les lycées de France par des écrivains, etc.).

 Vous avez développé des projets d’écriture dans des universités, entreprises, hôpitaux et en prison. Pouvez-vous nous parler de ces engagements et en particulier de votre travail dans les prisons ?

Depuis environ vingt ans, je développe en effet des projets d’écriture collaborative dans des lieux divers. Ils ont pour origine une scène fondatrice de mon enfance : à sept ans, je vivais avec mes parents dans une cité HLM en province ; une nuit, ma mère nous a réveillés mon frère et moi, elle accusait mon père d’avoir tenté de l’étrangler. Nous nous sommes enfuis en voiture chez mes grands-parents maternels qui habitaient à Paris dans un hôtel particulier du 16ème arrondissement. A notre arrivée, j’ai voulu flatter ma grand-mère ; je lui ai dit : « Vous avez un beau petit HLM ». J’ai découvert que j’étais un « plouc » dans ma famille maternelle et un « snob » dans ma famille paternelle.

Depuis, j’ai le désir profond de réunir ceux qui n’ont pas vocation à se rencontrer. C’est dans ce contexte que j’ai créé mon premier dispositif : à dix ans, je déposais à côté de clochards endormis des petits gâteaux enveloppés dans un poème que j’avais écrit la veille. Par la suite, j’ai multiplié les projets qui mêlent le hasard, l’intime, l’écriture et une dimension à la fois pratique et symbolique. J’ai par exemple organisé des échanges de secrets entre des élèves de deux établissements scolaires situés à 500 kilomètres l’un de l’autre, proposé une visite du Palais de Tokyo où chacun devait tenir la main à un inconnu, invité trois cent habitants de Clichy-sous-Bois à envoyer une carte postale à l’autre bout du monde.

Je suis également intervenu en prison, qui est un lieu qui me touche particulièrement. La première fois que j’y suis entré, c’était dans le cadre de mon « service ville » (l’équivalent du « service militaire ») au Tribunal pour enfants de Bobigny, il y a plus de vingt ans. Jean-Pierre Rosenzveig, qui en était le président, m’encourageait à écrire des articles, notamment  sur le Centre des Jeunes Détenus de Fleury-Mérogis. La prison est un lieu symbolique et sensible.

Depuis cinq ans, j’y interviens en tant qu’écrivain. J’ai par exemple proposé aux détenus de la maison d’arrêt de Villepinte d’écrire les rêves qu’ils faisaient pendant la nuit pour les lire à l’extérieur. J’ai également mené des projets collaboratifs en partenariat avec le Centre Pompidou et le musée du Louvre. Développer l’écriture en prison est important : elle augmente la confiance en soi, diminue les tensions, permet de prendre du recul et crée du lien.

C’est pourquoi, je suis très heureux que la Société des Gens de Lettres lance en 2020 un groupe de travail « littérature et prison », parmi les quatre grands sujets de société qu’elle a choisi d’investir.

 Il y a de moins en moins d’émissions littéraires et les Français lisent peu de livres. A l’heure du numérique, vous avez une mission essentielle de médiateur culturel. Comment rapprocher le lecteur et l’auteur ?   

Je crois qu’on n’a paradoxalement jamais autant lu (notamment grâce aux réseaux sociaux). Pourtant, on lit effectivement moins de livres. Il y a un double défi à relever : celui de l’attention et du « temps long », qui sont deux notions étroitement liées à la lecture d’un livre. Par ailleurs, il faut sans doute développer la dimension expérientielle, ludique et interactive de la lecture pour rapprocher le lecteur de l’auteur.

Avec la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Pompidou nous réfléchissons par exemple à un dispositif de « speed reading » pour donner envie aux étudiants de lire le début de certains romans sélectionnés : je suis persuadé que le plus difficile est de « franchir le pas ». Il faut donner envie à chacun de pénétrer dans un musée, dans une librairie… ou dans un livre !

 

Propos recueillis par Anne Bassi