Alain Jakubowicz : « la Justice n’est pas un produit marketing », 28 mars 2020

Vous avez publié en 2019 un ouvrage dont le titre est emprunté à la célèbre phrase de Mandela : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ». Vous qui avez marqué l’actualité judiciaire depuis plus de trente ans à travers de grandes affaires dont certaines historiques, vous affirmez tout au long du livre votre passion pour le métier d’avocat.  Qu‘est-ce qui guide encore votre passion ?

Alain Jakubowicz : La défense, la capacité d’indignation et l’intolérance à l’injustice sont mes moteurs. Dans le contexte actuel, il y a aussi la révolte contre la « justice » des réseaux sociaux et des chaînes de télé en continu. Il y a un combat à mener pour faire que notre pays reste un Etat de droit pour les libertés et droits fondamentaux. C’est la même foi qui m’anime depuis quarante ans. C’est la foi du charbonnier.

On vous connaissait plutôt connu comme avocat de parties civiles. Avec l’affaire Nordhal Lelandais, on vous voit maintenant à côté d’un accusé assez mal vu du public, au-delà du classique. Vous répondez : « tout le monde a le droit à un avocat ». Mais n’est-ce pas moins facile ?

Je ne suis pas pénaliste au quotidien mais pour moi, la défense pénale reste la quintessence de la profession d’avocat. L’avocat pénaliste doit pouvoir plaider des deux côtés de la barre. Je ne pense pas qu’il faille se spécialiser d’un côté ou de l’autre et je mets la même détermination et conviction quel que soit le côté de la barre où je me trouve.

Vous commencez la troisième partie de votre ouvrage en citant Vincent de Moro-Giafferi : « L’opinion publique, chassez-la, cette intruse, cette prostituée, qui tire le juge par la manche ». Et vous écrivez : « Il fut un temps, pas si lointain ou aucune chaîne de télévision ne se serait autorisée à consacrer une émission à une affaire criminelle avant qu’elle ait été jugée. Celui qui avait l’habitude de « faire entrer l’accusé » sur le service public attendait même que tous les recours soient épuisés avant de s’intéresser à un dossier ».

Vous pointez du doigt le rôle des médias et la violation du secret de l’instruction. Comment traiter l’information pour qu’elle soit compatible avec la notion de procès équitable ? En contrepartie, sans la dénonciation du crime, n’y a-t-il pas un grand risque d’impunité ?

Je n’ai jamais voulu museler la presse. Le rôle des journalistes a toujours été de mener des enquêtes pour informer l’opinion publique, voire pour dénoncer certains faits. Je n’ai rien à redire à cela, certains médias le font parfaitement et ce ne sont pas ceux-là auxquels je pense. Il est vrai que je tiens dans mon livre des propos extrêmement durs sur certains médias et sur leurs méthodes, en portant à leur encontre des accusations graves. Aucun n’a contesté mes propos, aucun ne m’a poursuivi en diffamation. Dont acte.

On parle actuellement de surproduction éditoriale.  Est-elle le signe d’une richesse culturelle ou d’une logique marketing ? Les livres écrits par des avocats sont une catégorie particulière, quels sont ceux qui vous ont inspiré ?

La Justice est hélas devenue un produit marketing. Certains médias l’exploitent dans une logique de profit. Ces gens battent monnaie autour d’affaires criminelles. Il s’agit d’un viol. J’utilise volontairement ce mot. La justice ne veut pas de ça, elle est sidérée et ne sait pas comment réagir. Elle n’ose pas en parler car elle a peur de ces médias qui ont infiniment plus de moyens qu’elle.

Je lis peu de livres écrits par des avocats, sauf ceux de Robert Badinter sur la peine de mort et ses combats. Ses livres sont saisissants, ils sont des passages obligés pour tous les avocats.

Propos recueillis par Anne Bassi